La Voie Lactée est probablement la plus grande merveille du ciel nocturne et il est bien triste que l’éclairage de nos villes nous empêche maintenant de l’apprécier. Ce ruban blanchâtre qui traverse la voûte céleste a toujours fasciné les hommes, aussi bien les scientifiques que les poètes. Nous allons parcourir les siècles pour voir comment la vision scientifique de la Voie Lactée s’est développée, puis faire un tour d’horizon de nos connaissances actuelles, en nous intéressant en particulier au monstre qui habite son centre et à la plus grande énigme qui reste à élucider.
La nature de la Voie Lactée
Les anciennes civilisations ont toujours créé une mythologie autour de la Voie Lactée. En Egypte ancienne, la Voie Lactée était une rivière, une sorte de contrepartie céleste du Nil. De nombreuses autres civilisations faisaient la même interprétation, les Chinois l’appelaient la rivière d’argent, les Japonais la rivière du paradis. Les Mayas y voyaient un chemin mystique que suivaient les âmes pour aller vers l’au-delà et, plus prosaïquement, une légende Cherokee raconte que la Voie Lactée est formée de farine de maïs éparpillée par un chien géant.
Mais la Voie Lactée prend son nom de la mythologique grecque, dans un épisode de l’enfance d’Héraclès (l’Hercule des romains). Fils de Zeus et d’une de ses maîtresses humaines, Alcmène, Héraclès était donc mortel. Le seul moyen de lui conférer l’immortalité était de le nourrir du lait de la femme de Zeus, Héra. Un jour, Hermès, un autre fils de Zeus, plaça donc le bébé dans le lit où Héra s’était endormie. Héraclès lui téta le sein, mais avec un peu trop de vigueur, comme on pouvait s’y attendre. Héra se réveilla, regarda cet enfant qui n’était pas le sien et le repoussa. Le lait de la déesse jaillit dans le ciel et y laissa une longue trainée blanchâtre : la Voie Lactée.
Avec le miracle grec, on passa à la recherche d’explications un peu plus rationnelles. Deux philosophes de l’époque, Anaxagore et Démocrite, émirent l’idée que la Voie Lactée était peut-être formée d’étoiles. Malheureusement, la pensée grecque fut dominée par la figure imposante d’Aristote qui l’interprétait comme une nébuleuse aux confins de l’atmosphère. Cette idée allait dominer la pensée européenne pendant deux mille ans et seuls quelques savants de la sphère musulmane proposèrent à nouveau une Voie Lactée formée d’étoiles.
C’est finalement en 1609, avec Galilée, le fondateur de la science moderne, que la nature de la Voie Lactée fut établie une fois pour toutes. Après avoir découvert les satellites de Jupiter, les phases de Vénus, les cratères de la Lune, les tâches du Soleil et une formation étrange autour de Saturne, Galilée tourna sa lunette astronomique vers la Voie Lactée et y découvrit une myriade d’étoiles dans toutes les directions. Il ne s’agissait donc pas d’une nébuleuse, mais bien d’un ensemble d’étoiles en nombres considérables que l’œil nu ne pouvait pas discerner.
En 1750, l’astronome anglais Thomas Wright publia l’idée que la Voie Lactée pourrait être un ensemble aplati d’étoiles. Depuis la Terre, placée à l’intérieur, un observateur la verrait alors comme une bande lumineuse étroite traversant le ciel. Il émit aussi l’hypothèse que certaines petites nébuleuses que l’on observe au télescope pouvaient être d’autres ensembles, similaires mais indépendants du nôtre. En 1755, Emmanuel Kant proposa finalement l’idée que la Voie Lactée est un disque plat formé d’étoiles liées entre elles par la gravité. Les autres nébuleuses diffuses devaient être des ensembles de même nature qu’il baptisa des « univers-îles ».
La taille de la Voie Lactée
L’étape suivante consistait à essayer de déterminer la taille de la Voie Lactée et la position relative du Soleil. Les premières tentatives consistèrent à compter le nombre d’étoiles dans différentes directions du ciel puisqu’une concentration plus élevée aurait indiqué le centre galactique. Ces tentatives ne pouvaient qu’échouer, car les étoiles observables à l’époque étaient toutes proches de nous et semblaient réparties uniformément.
Ce fut avec l’astronome américain Harlow Shapley en 1914 que les dimensions véritablement astronomiques de la Voie Lactée furent révélées. Shapley utilisa le télescope du Mont Wilson pour observer des amas globulaires plutôt que des étoiles individuelles. Les amas globulaires sont des ensembles d’étoiles qui peuvent atteindre un million de membres et sont donc visibles de beaucoup plus loin.
Shapley observa une centaine d’amas globulaires et calcula leur distance grâce à une méthode nouvellement découverte basée sur l’observation d’un type d’étoile variable. Il détermina que le diamètre de la Voie Lactée devait être de 300.000 années-lumière, que le Soleil n’était pas en son centre et que ce dernier se trouvait dans la direction de la constellation du Sagittaire (une année-lumière est la distance parcourue par la lumière en une année, soit environ dix mille milliards de kilomètres).
L’extinction interstellaire
Dans les années 1930, ce diamètre fut revu à la baisse lorsque l’astronome Robert Trumpler découvrit que le milieu interstellaire absorbe une partie de la lumière des étoiles, ce qui faussait les calculs de Shapley. Après correction de ce phénomène, appelé l’extinction interstellaire, le diamètre de la Voie Lactée fut divisé par un facteur trois : environ 100.000 années-lumière.
Depuis cette époque, les progrès technologiques nous ont permis de mieux comprendre la Voie Lactée, en particulier depuis les années 1950 avec le développement de la radioastronomie puis de l’observation dans l’infrarouge. L’extinction interstellaire est en effet faible dans ces deux domaines, ce qui nous permet de voir beaucoup plus loin qu’en lumière visible.
Passons maintenant à la vision moderne de la Voie Lactée.
Mis à jour le 12/04/2024 par Olivier Esslinger