Henrietta Leavitt et les céphéides
En 1912, l’astronome américaine Henrietta Leavitt étudiait les Nuages de Magellan, les deux nébuleuses qui dominent le ciel austral de leur splendeur. Sa tâche consistait à examiner des plaques photographiques prises à des époques différentes afin de mettre en évidence les étoiles dont la luminosité n’était pas constante au cours du temps. Elle découvrit alors que certaines de ces étoiles, plus tard nommées céphéides, présentaient des variations d’éclat périodiques.
Plus intéressant encore, ces étoiles possédaient la propriété suivante : leur luminosité moyenne était d’autant plus grande que leur période était longue et elle ne semblait dépendre d’aucun autre paramètre. Comme toutes ces étoiles appartenaient à l’un ou l’autre des Nuages de Magellan, elles se trouvaient toutes à la même distance de la Terre et cette propriété n’était pas un effet de distance mais bien une caractéristique physique réelle des étoiles.
Une nouvelle méthode de mesure des distances
Cette propriété des céphéides se révéla d’une importance extraordinaire car elle permit aux astronomes de développer une échelle des distances de l’Univers. En effet, si l’on connaît à la fois les luminosités absolue et apparente d’une étoile, il est possible de calculer à quelle distance celle-ci se trouve. Mais la difficulté est de déterminer la luminosité absolue de l’étoile. C’est là qu’intervient la relation obtenue par Henrietta Leavitt.
Supposons que nous observions deux céphéides de même période, l’une dans un Nuage de Magellan, l’autre dans une région indéterminée. Nous savons que la différence entre les éclats apparents est uniquement un effet de distance puisque deux céphéides de même période ont une luminosité absolue identique. Connaissant la loi de décroissance de l’intensité lumineuse avec la distance, il est alors très facile de calculer l’éloignement de la région indéterminée par rapport à celui des Nuages de Magellan.
Ainsi, avec les céphéides, les astronomes ont une nouvelle méthode de mesure des distances relatives. Celle-ci permet d’aller bien plus loin que les techniques s’appuyant sur la parallaxe car elle s’applique même à des étoiles ne présentant aucun mouvement apparent. Ceci est d’autant plus vrai que les céphéides ont une très grande luminosité absolue, jusqu’à dix mille fois celle du Soleil, et sont donc visibles de très loin.
Harlow Shapley et la Voie Lactée
Il restait néanmoins un problème au début du siècle dernier : la distance réelle des Nuages de Magellan n’était pas connue. Toute mesure se faisait donc de manière relative et il n’était pas possible de connaître l’éloignement réel d’un objet. Les céphéides les plus proches n’étaient d’aucun secours car elles étaient déjà trop éloignées pour présenter une parallaxe mesurable.
C’est l’astronome américain Harlow Shapley qui réussit à surmonter cette difficulté. Il utilisa le fait que certaines céphéides présentent un déplacement angulaire mesurable sur une période de temps suffisamment longue. Par un argument statistique simple, il fut en mesure de déduire de ces déplacements angulaires la distance réelle de certaines céphéides, donc également leur luminosité absolue, et put ainsi établir la relation exacte qui liait la période d’une céphéide à sa luminosité absolue.
Dorénavant, il suffirait de déterminer la période d’une céphéide pour en déduire sa luminosité absolue. En comparant cette valeur à la luminosité apparente de l’étoile, la distance de l’astre serait très facile à calculer.
Les amas globulaires de la Voie Lactée
Harlow Shapley appliqua cette nouvelle technique à l’étude des amas globulaires, des ensembles d’étoiles qui peuvent atteindre le million de membres et se distinguent par leur aspect sphérique. La distribution des amas globulaires dans le ciel était très différente de celle des étoiles. Les amas couvraient toute la voûte céleste, pas uniquement une bande comme les étoiles. De plus, cette distribution présentait une nette asymétrie puisque la majorité se trouvaient dans la moitié du ciel entourant la constellation du Sagittaire.
Comme les amas globulaires contenaient des céphéides, Harlow Shapley put utiliser sa méthode pour déterminer leur distance. Il put également déterminer leur position réelle dans l’espace et établir une carte à trois dimensions de leur répartition. Le résultat, publié en 1917, montra que les amas se trouvaient à des distances bien plus grandes qu’anticipées, qu’ils étaient distribués de manière sphérique, et que le centre de cette sphère se trouvait très loin du Soleil.
La vision moderne de la Voie Lactée
Harlow Shapley fit alors l’hypothèse que les amas globulaires étaient associés d’une manière ou d’une autre à la Voie Lactée. La distribution des amas globulaires et celle des étoiles devaient donc avoir des tailles similaires et un centre commun. L’astronome américain établit ainsi pour la première fois que la Voie Lactée avait une taille gigantesque et, surtout, il délogeait le Soleil de la place centrale que lui avait attribuée Herschel.
Les distances d’Harlow Shapley étaient à peu près trois fois trop grandes car il ne prenait pas en compte l’effet de l’extinction interstellaire, mais la vision moderne de la Voie Lactée était née.
Mis à jour le 13/10/2019 par Olivier Esslinger