Les oscillations acoustiques baryoniques
Pendant quelques centaines de milliers d’années après le Big Bang, l’Univers était rempli d’un plasma de baryons (protons et neutrons) et de photons qui étaient en interaction permanente. L’Univers était très uniforme, mais contenait de minuscules variations de densité. La gravité invitait les zones de plus forte densité à grandir en accumulant plus de matière, mais l’énergie des interactions baryons-photons créait une pression qui s’opposait à l’influence de la gravité.
La lutte entre la gravité et la pression provoquait des oscillations dans le plasma, donc des ondes acoustiques similaires à des ondes sonores, qui se propageaient à un peu plus de la moitié de la vitesse de la lumière. On les appelle les oscillations acoustiques baryoniques (baryon acoustic oscillations ou BAO en anglais).
Les variations de densité primordiales sont visibles dans les images du rayonnement fossile qui date de 380.000 ans après le Big Bang. Après le découplage rayonnement-matière, les ondes acoustiques se turent, mais les variations de densité donnèrent naissance à la structure à grande échelle de l’Univers, avec ses filaments et ses murs formés d’amas de galaxies et séparés par d’énormes vides.
Les oscillations acoustiques baryoniques ont laissé une trace dans cette structure à grande échelle. Lorsque l’on analyse la distribution d’un grand nombre de galaxies et que l’on trace un graphe de la distance moyenne entre les galaxies, on aperçoit un maximum de probabilité autour de 500 millions d’années-lumière. Deux galaxies prises au hasard ont donc plus de chances d’être séparées de 500 millions d’années-lumière que de 400 ou de 600 millions par exemple.
Cette propriété des galaxies est un résultat direct de la présence des oscillations acoustiques baryoniques après le Big Bang et la valeur du maximum est fonction de la quantité d’énergie noire présente dans l’Univers, d’où l’intérêt de l’étudier. Mais pour pouvoir déterminer avec précision la valeur du pic de séparation, il faut analyser un grand nombre de galaxies et mesurer leur distance avec précision.
Le relevé cartographique BOSS
Le relevé cartographique BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey) est l’un des quatre projets du programme SDSS-III (Sloan Digital Sky Survey). Le but est de prendre le spectre d’un million de galaxies sur une période de six ans et de construite la carte la plus précise de l’Univers.
Le programme SDSS-III est en opération au télescope de 2.5 mètres de l’observatoire d’Apache Point au Nouveau Mexique. Le télescope contient deux éléments : une caméra qui permet de sélectionner des cibles et un spectrographe qui permet d’analyser le spectre d’un millier de cibles en une seule observation, une performance qui lui permettra d’atteindre le million de galaxies sur six ans.
Des résultats annoncés en 2012, provenant d’une année et demie d’observations de 250.000 galaxies, ont permis de créer une carte de l’Univers qui contient des galaxies si lointaines que nous pouvons observer la structure à grande échelle il y a six milliards d’années. Cette période est cruciale car elle marque le moment où l’énergie noire est devenue le facteur le plus déterminant de l’expansion. Ces observations confirment la présence d’un pic de séparation avec une précision inégalée et permettent de raffiner notre compréhension des différents composants de l’Univers.
Les distorsions du décalage vers le rouge
Les relevés cartographiques permettent d’étudier l’Univers et l’énergie noire d’une deuxième manière : par l’étude des distorsions spatiales du décalage vers le rouge (redshift space distortions ou RDS en anglais).
Les astronomes déterminent la distance des galaxies lointaines en mesurant le décalage vers le rouge de leur spectre et en appliquant la loi de Hubble-Lemaître qui relie distance et vitesse. Les mesures de distance sont donc avant tout des mesures de vitesse. Ceci a un effet un peu subtil lorsque l’on observe les galaxies d’un amas, car la vitesse d’une galaxie à deux éléments : sa vitesse due à l’expansion pure et sa vitesse locale qui représente une chute vers le centre de l’amas.
Si l’on observe une galaxie qui se trouve entre un amas et nous, sa vitesse sera supérieure à la vitesse d’expansion pure à cause de la chute vers le centre de l’amas et la galaxie semblera plus éloignée qu’en réalité. Si l’on observe une galaxie de l’autre côté de l’amas, sa vitesse sera plus faible que la vitesse d’expansion pure et la galaxie apparaîtra plus proche. L’effet global est donc de donner une apparence plus compacte aux amas de galaxies.
Comme la vitesse à laquelle les galaxies doivent tomber vers le centre d’un amas peut être calculée par la relativité générale, des observations précises de la distribution des galaxies constituent un excellent test de cette théorie et de notre compréhension de l’Univers.
L’analyse des 250.000 premières galaxies du relevé BOSS montra un accord excellent entre les observations et les prédictions de la relativité générale prenant en compte la présence d’énergie noire. La relativité générale était donc validée pour la première fois jusqu’à une distance de cent millions d’années-lumière. L’existence de l’énergie noire comme propriété fondamentale de l’espace, plutôt que composée de particules inconnues, était aussi confirmée par ces observations.
L’analyse des quasars
Les résultats obtenus ci-dessus sur des galaxies lointaines ont permit d’observer la trace des oscillations jusqu’à une époque il y a environ 5,5 milliards d’années (plus les galaxies étudiées sont lointaines, plus l’époque que nous observons est reculée). Mais la technique utilisée alors ne pouvait guère aller plus loin, car, à cette distance, la luminosité apparente des galaxies devient trop faible pour des mesures précises.
Les chercheurs se sont donc appuyés sur une technique nouvelle pour observer la structure de l’Univers à des distances supérieures. Le télescope de l’observatoire d’Apache Point a observé le spectre de 48.000 quasars, un type de galaxie très lumineuse qui peut être observé à des distances beaucoup plus grandes et dont le spectre fournit une mine d’informations.
Avant d’atteindre la Terre, la lumière d’un quasar doit traverser tous les nuages d’hydrogène intergalactique qui se trouvent sur son chemin. Ces nuages absorbent une partie de la lumière du quasar et créent des raies d’absorption dans son spectre. Ces nuages se répartissent sur une gamme de distance entre la Terre et le quasar et sont donc affectés par des décalages vers le rouge différents. La longueur d’onde apparente de leurs raies d’absorption est par conséquent variable et le spectre des quasars contient ainsi un enchevêtrement de raies appelé une forêt Lyman-alpha.
L’Univers il y a 11 milliards d’années
L’analyse des raies d’absorption d’un quasar nous permet donc de déterminer la distribution de matière sur sa ligne de visée. En étudiant un grand nombre de quasars, on peut par conséquent construire une carte de la structure de l’Univers sur des distances très vastes.
En utilisant cette technique, les scientifiques de la collaboration BOSS ont pu mesurer l’échelle des oscillations acoustiques baryoniques il y a 11 milliards d’années et en déduire la vitesse d’expansion de l’Univers à cette époque : 224 kilomètres par seconde par mégaparsec (le mégaparsec est égal à 3.26 millions d’années-lumière), à comparer à la valeur actuelle de 72 kilomètres par seconde par mégaparsec (ce qui signifie qu’un bout d’espace d’un mégaparsec de long s’étend actuellement de 72 kilomètres à chaque seconde).
Le résultat n’est pas inattendu. Les modèles actuels montrent qu’à cette époque reculée la vitesse d’expansion ralentissait sous l’effet de l’attraction gravitationnelle entre les galaxies. Ce n’est qu’il y a environ sept milliards d’années que la mystérieuse énergie noire a pris le dessus sur cette attraction et cause depuis lors une accélération de l’expansion de l’Univers. Ce type d’étude va nous permettre de raffiner nos modèles et de mieux comprendre la transition entre les phases de décélération et d’accélération de l’Univers sous l’effet de l’énergie noire.
Mis à jour le 12/04/2024 par Olivier Esslinger