L’une des prédictions de la relativité générale va probablement jouer un rôle clef dans l’astronomie du futur. Lorsqu’un corps massif est soumis à une accélération, l’espace-temps autour de lui doit en permanence se réajuster, ce qui se traduit par de légères perturbations qui se propagent à la vitesse de la lumière appelées des ondes gravitationnelles.
Une preuve indirecte : PSR1913+16
Une preuve indirecte de l’existence de ces ondes fut apportée en 1974 par les astrophysiciens américains Joseph Taylor et Russell Hulse. A cette époque, ils étudiaient le pulsar PSR1913+16, qui avait la particularité d’être membre d’un système binaire constitué de deux étoiles à neutrons. En étudiant les émissions radio du pulsar, les deux astronomes furent en mesure de déterminer la période orbitale du couple. Ils se rendirent alors compte que celle-ci décroissait légèrement, d’un millième de seconde par an. Ce phénomène fut interprété comme la conséquence de l’émission d’ondes gravitationnelles.
En effet, les deux étoiles à neutrons étant rapides et massives, leur mouvement donne lieu à une forte émission d’ondes gravitationnelles qui emportent avec elles beaucoup d’énergie. Par conséquent, le système binaire doit perdre un peu de son énergie, ce qui se traduit par une diminution de la distance entre les deux étoiles et par une baisse de leur période orbitale, exactement l’effet observé par Taylor et Hulse.
La décroissance de la période mesurée en 1974 était exactement celle que la relativité générale prévoyait pour une étoile binaire émettant des ondes gravitationnelles. Ce fut donc une nouvelle vérification de la théorie, mais surtout une preuve indirecte de l’existence de ces ondes.
Une nouvelle astronomie
L’interaction gravitationnelle, même si elle domine à grande échelle, est extrêmement faible à une échelle microscopique. En conséquence, les ondes gravitationnelles interagissent très peu avec la matière. Elles traversent sans problème les concentrations de masse les plus fortes, par exemple une étoile à neutrons. L’Univers est en quelque sorte transparent aux ondes gravitationnelles.
Cette propriété en fait un outil de choix pour l’astronomie. En effet, de nombreux processus astrophysiques nous sont totalement inaccessibles. Par exemple, nous ne pouvons observer que la surface des étoiles car le rayonnement des régions internes ne peut pas s’échapper. L’étude des ondes gravitationnelles émises par ces processus nous permettrait de les étudier directement.
Cette possibilité ouvrirait la voie à l’étude de certains des phénomènes les plus intéressants de l’astronomie : effondrement gravitationnel des étoiles massives, fusion de deux étoiles à neutrons dans un système binaire, processus en jeu au centre des galaxies ou bien tous les phénomènes associés aux trous noirs.
Des interféromètres géants
Cet avantage des ondes gravitationnelles devient un inconvénient lorsqu’il s’agit de les détecter. Lorsqu’une onde gravitationnelle traverse un objet, le passage se manifeste par des oscillations de celui-ci. Un cercle est par exemple momentanément transformé en une ellipse. Il devrait ainsi être facile de détecter le passage d’une onde gravitationnelle mais les perturbations sont extrêmement faibles et très difficiles à observer.
Pour se fixer les idées, imaginons qu’une supernova explose dans notre Galaxie. Il s’agit là d’un cas assez favorable qui devrait conduire à une forte dose d’ondes gravitationnelles au niveau de la Terre. La variation relative de taille ne serait cependant que d’un milliardième de milliardième, l’équivalent d’un changement d’une fraction de micromètre dans la distance du Soleil à la Terre.
Les observatoires construits pour détecter les ondes gravitationnelles sont des interféromètres géants qui fonctionnent selon le même principe que le système d’Albert Michelson. Le rayonnement provenant d’un laser est divisé en deux faisceaux. Ceux-ci sont envoyés dans des directions perpendiculaires, puis réfléchis par des miroirs et finalement recombinés. L’analyse de la lumière après recombinaison permet de dire si la durée de propagation de la lumière dans l’une des directions a été perturbée. Si tel est le cas, cela signifie que la distance parcourue par l’un des faisceaux a légèrement varié sous l’effet du passage d’une onde gravitationnelle.
Étant donné la faiblesse des effets à mesurer, ces interféromètres doivent être très sensibles. En particulier, la distance parcourue par la lumière doit être aussi grande que possible. Pour cette raison, ces détecteurs sont gigantesques, leurs bras font plusieurs kilomètres de long. Il est également crucial de réduire toutes les sources de bruit parasite, tout spécialement celles d’origine sismique ou thermique.
LIGO et Virgo
Aux Etats-Unis, l’observatoire LIGO est composé de deux interféromètres indépendants, l’un situé à Livingston en Louisiane, l’autre à Hanford dans l’Etat de Washington. LIGO a observé le ciel sans succès entre 2001 et 2010 et a été mis à jour pour reprendre ses observations en septembre 2015. La longue attente dans cette quête s’est terminée le 14 septembre 2015 lorsque les interféromètres de LIGO ont tous les deux détecté les distorsions de l’espace-temps dues au passage d’ondes gravitationnelles provoquées par la fusion de deux trous noirs.
L’interféromètre Virgo, situé près de Pise en Italie, est une collaboration entre cinq pays européens. Sa première période d’observation s’est déroulée entre 2007 et 2011, il est ensuite entré dans une phase de mise à jour, puis ses observations ont recommencé en août 2017. Virgo n’est pas aussi sensible que LIGO, mais il sera en mesure de confirmer une détection par les deux interféromètres américains et permettra aussi de déterminer de façon beaucoup plus précise la position de la source des ondes gravitationnelles dans le ciel.
Le projet eLISA
Un détecteur à la surface de la Terre sera toujours limité. Pour améliorer encore la sensibilité, l’espace est la seule solution. Ainsi, un projet spatial de l’ESA appelé eLISA (Evolved Laser Interferometer Space Antenna) est à l’étude.
Il s’agirait d’un ensemble de satellites travaillant de façon coordonnée. Au lieu de quelques kilomètres, la taille équivalente du détecteur serait alors de plusieurs millions de kilomètres. Un tel système rendrait possible l’étude d’une plus grande variété de phénomènes ainsi que la détection d’événements beaucoup plus lointains. Le lancement est prévu au plus tôt pour 2028, donc armons nous de patience…
Mis à jour le 22/07/2022 par Olivier Esslinger